Abeilles, génétique et sélection
(extrait du Mémento de l'apiculteur)
L'apiculture est une culture. C’est l’élevage de peuples d’abeilles par
les humains. Il en découle une sélection de certaines familles d’abeilles (que cette
sélection soit ou non dirigée par une intention). De nombreux apiculteurs
conduisent des plans de sélection visant des objectifs précis : conserver
un écotype d’abeilles locales ou améliorer une ou plusieurs caractéristiques,
telles que la douceur, la capacité de récolte, la résistance aux maladies ou la
tolérance aux varroas. Ces plans nécessitent d’importants moyens techniques et
humains (un pool minimum de plusieurs centaines de colonies, des méthodes
de suivi et d’évaluation, l’élevage de ruches à mâles, voire le recours à
l’insémination dirigée ou artificielle, etc.).
Un important brassage génétique
En Alsace comme dans
le reste de la France, l’abeille est marquée par un important
brassage génétique. L’audit de la filière
apicole alsacienne (Rémi Bastille, 2007) relève que beaucoup d’apiculteurs
alsaciens estiment élever des « abeilles noires » (Apis mellifica
mellifica), alors que l’étude réalisée par le CNRS a révélé que
seule 7% des abeilles alsaciennes sont issues de ce type. 92 % des abeilles
étant issues de races importées : caucasienne (A. m. caucasia), italienne (A. m. ligustica),
carniolienne (A.
m. carnica) ou « Buckfast »,
un célèbre hybride de différents génomes (1% des abeilles n’ont pas été
identifiées).
La thèse
de Mme Bertrand B. (2013) résume ainsi la situation française :
« L’abeille
mellifère (Apis mellifera, L.,) est divisée en quatre lignées évolutives (M :
Ouest-Méditerranéenne, A : Africaine, C : Nord-Méditerranéenne et O :
Orientale), elles-mêmes divisées en au moins 26 sous-espèces. Ces lignées et
sous-espèces sont caractérisées par une très forte structuration géographique.
Cette structure est le fruit de milliers d’années d’évolution (depuis les
dernières glaciations jusqu’à nos jours).
Parmi les différentes
sous-espèces, on distingue notamment Apis mellifera mellifera (A. m.
mellifera), également connue sous le nom de « Abeille noire ». Cette
sous-espèce est naturellement présente en France et en Europe du Nord. Pour
diverses raisons, des sous-espèces non locales, appartenant en particulier à la
lignée C sont importées depuis les années 60 en France. Ces importations,
souvent massives, ont tendance à déstructurer la répartition géographique de
l’espèce et pourraient mener à une perte de la sous-espèce locale et de ses
caractéristiques spécifiques. Des conservatoires d’A. m. mellifera, gérés par
des associations d’apiculteurs, ont progressivement vu le jour en Europe, pour
limiter les effets des importations. Toutefois, aucun « cahier des charges »,
couplant l’aspect scientifique de la conservation avec l’apiculture, n’a encore
été émis (…) ».
La tolérance à Varroa
Varroa
destructor est un parasite envahisseur qui a
« sauté » de l’abeille asiatique (A.
ceranae) à notre abeille domestique (A.
mellifera). N’étant pas « en équilibre » avec notre abeille, il prolifère
au point de provoquer directement ou indirectement la mort des colonies
infectées.
Si Apis mellifera pouvait lutter de façon
autonome contre le Varroa, cela permettrait
de ne plus recourir aux moyens de lutte actuels. La capacité à lutter de façon
autonome contre le varroa repose sur de nombreux facteurs, d’ordre chimiques
(substances chimiques volatiles), physiques
(actions mécaniques et température), physiologiques (durée de développement
de l’abeille) et biologiques (virus) (Wendling, 2012). Par exemple, le climat tropical joue un rôle dans
la plus grande tolérance constatée chez l’abeille africanisée du Brésil (Medina & Martin 1999).
Sous nos climats tempérés, plusieurs programmes de sélection ont
tenté d’obtenir des abeilles tolérantes au Varroa.
Citons les programmes Carnica AGT, Bond Project, Tiengemeten et le
travail réalisé par de nombreux éleveurs-sélectionneurs (combinaison
Buckfast-Primorky, Buckfast-Brandenburg, etc.). La fondation Arista Bee Research est en train
d’établir des liens avec ces projets et tente d’organiser la coopération entre
ces initiatives. Par
exemple, le « Bond Project », lancé en 1999 sur l’île de Gotland (mer
baltique) a permis de développer des colonies vivant depuis 10 ans sans être
traitées contre le Varroa (Locke et al.,
2012 ; Rosenkranz
et al., 2010). Ce projet a enregistré un déclin dramatique
des ruches au cours des trois premières années (21 ruches survivantes sur les
150 ruches initiales) et aboutit à des colonies qui sont globalement peu
intéressantes pour l’apiculteur (réduction des surfaces de couvain, grande sensibilité
aux maladies, agressivité, etc.; adaptation pouvant contribuer à diminuer la
pression Varroa). Autre exemple avec l’abeille russe « Primorsky », dont les résultats ne
sont pas à la hauteur des espérances, au bout de 10 années de sélection
sur 18 lignées « tolérantes varroa » : bien que la prolifération
des varroas y soit réduite, l’infestation progresse encore au-delà du
« seuil de dommage».
Actuellement
le « comportement hygiénique » est le critère admis comme le plus pertinent pour améliorer la résistance
globale des colonies aux maladies (loque américaine, ascosphérose) et au Varroa
(Spivak et Reuters,
2001a ; Spivak et Reuters, 2001b ; Fries 2011). Il s’agit de la capacité à détecter et extraire des alvéoles
operculées ou non-operculées, les larves et nymphes d’abeilles malades ou
infestées par V. destructor. La
femelle varroa fondatrice peut alors s’échapper mais sa descendance est vouée à
mourir (Harris et al. 2001 ; Wendling, 2012).
La sélection d’abeilles « hygiéniques »
Il existe dans tous
les écotypes d’abeilles des lignées (familles) plus ou moins « hygiéniques ».
Les éleveurs/sélectionneurs d’abeilles utilisent des tests pour mesurer ce
trait, tel le test du « couvain congelé ». Bien que les mécanismes
mis en jeu chez l’abeille ne soient pas tout à fait les mêmes, une
corrélation positive a été établie entre le retrait par la colonie d’abeilles
du couvain congelé et le retrait du couvain infesté par Varroa destructor (Boecking et Drescher,
1992 ; Toufailia 2014).
Plus l’évacuation des larves
« congelées » est rapide, plus la colonie sera considérée comme
étant hygiénique. Le test peut être conduit sur différents pas de temps (48h,
24h, 12h). Une colonie sera considérée
comme hygiénique si elle nettoie à 100% la zone de couvain congelée en 24h ou
moins.
Deux
difficultés techniques sont à considérer :
·
La
répétabilité des performances.
La capacité d’une colonie à exprimer ce
comportement évolue au cours du temps car les frateries d’abeilles présentes
dans une colonie évoluent au fur et à mesure du renouvellement des
générations (la population d’une colonie se constitue principalement
d’abeilles demi-sœurs, issues de la même mère, mais de pères différents).
Il est donc conseillé de
procéder à ce test de manière répétée sur différentes périodes de l’année (2 à 3 tests par
ruche et par an).
·
L’héritabilité
du comportement hygiénique.
Plus l'héritabilité d'un caractère est
élevée, plus il se transmet d'une génération à l'autre et plus il est «
facile » à sélectionner. L’héritabilité est exprimée par une valeur
statistique appelée h². Lorsque h² est proche de 1, l’héritabilité est
totale ; proche de 0 elle est nulle. Ainsi, le travail du sélectionneur
sera peu efficace si h²< 0,2 et moyennement efficace si h² est entre
0,2 et 0,4 (JP Halis 2012).
Chez l’abeille, h² varie entre 0.36 et 0.65, suivant les études et les
populations d’abeilles étudiées (Pernal
et al., 2012). Au moins 7 gènes sont impliqués dans l’expression de ce
caractère (gènes liés entre autre à l’olfaction) et chacun joue un rôle
relativement faible (Wilkes et Oldroyd
2002 ; Martin et al., 2002).
· En savoir plus :
-
Article « Test de l’azote » de
Izabela FREYTAG (2008, abeilles & cie n° 126)
-
Mode d’emploi du test du couvain congelé (en
anglais) : poster n° 162 "Testing for Hygienic Behavior”, par Reuters et
Spivak
|
La conduite de plans de sélection chez l’abeille
(Source :
Présentation du groupe d’insémination des goulettes par J.M. Van Dyck,
Journées d’études ANERCEA du 17
et 18 novembre 2010)
Le frère Adam a souligné dans
ses ouvrages l’intérêt de l’élevage, pour tous les apiculteurs. Cependant
les « petits » apiculteurs ne peuvent rien faire à leur niveau, à
moins de se rassembler autour d’un projet collectif : mise en place de
stations de fécondation ou recours à l’insémination artificielle.
La valeur
d’une colonie est la synthèse de l’action de toutes les abeilles.
Le comportement de chaque abeille dépend de ses gènes propres : c’est à
dire ses gènes + de ses allèles sexuels + de son ADN mitochondrial (la
mitochondrie effectue l’oxydation des sucres, c’est le « moteur »
de la cellule. Son ADN, transmit uniquement par la mère, est identique à 100%
à celui de la souche. Cette partie du génome participe entre autre à la
puissance de vol). Chaque œuf pondu par une reine est une recombinaison de
gènes issus de la reine et de gènes issus d’un spermatozoïde provenant d’un
mâle. L’abeille ayant 16 chromosomes, il y a pour chaque œuf plus de 65 000
combinaisons possibles (216). Si la reine est fécondée par
plusieurs mâles d’origines différentes, nous voyons que la diversité
génétique au sein d’une colonie est énorme.
De plus, de
nombreux comportements dépendent de la combinaison des plusieurs gènes.
Certaines combinaisons d’allèles (les versions d’un gène) activent plus que
d’autre le comportement (par exemple, le caractère hygiénique
« VSH » est guidé par au moins 7 gènes, qui dirigent d’une part la
détection et la désoperculation d’une larve malade et d’autre part son
nettoyage). Il découle de ces faits
que l’élevage de reines issues de croisements et fécondées par des mâles
« tout venant » n’apportera pas de résultats homogènes ni stables
dans le temps.
Théoriquement,
en « race pure », tous les œufs d’ouvrière sont semblables (0% de
métisses). Cette situation n’existe pourtant pas dans la réalité. Nous
pouvons cependant, par la sélection, obtenir des lignées moins métisses, plus
homogènes, qui seront utilisable pour l’élevage de reines. La qualité collective de ces colonies,
appelée « F0 », doit être contrôlée. Il suffit qu’un seul mâle
« agressif » ait fécondé cette reine pour que ~20 % des ouvrières
soient agressives. Or, ce sont ces mâles qui auraient tendance à dominer les
autres dans la course à la fécondation des reines (les mâles
« race noire » semblent plus performants pour courir les reines).
Si les reines filles de la F0 sont fécondées « naturellement »
(sans contrôle des mâles), on obtient une génération « F1 » ayant
déjà perdue 50 % de l’homogénéité de la F0. Toutes les ouvrières sont
métisses, ce qui est très bien pour l’apiculteur (« vigueur des
métisses » appelé aussi « effet hétérosis ») mais sans intérêt
pour le sélectionneur.
Si on fait à nouveau un élevage à
parti de ces F1, on obtient des F2 aux caractères très hétérogènes : les
colonies métissées F1 ne servent à rien pour l’élevage !
Les mâles
Les mâles
(issus chez l’abeille d’œufs non fécondés) reprennent les caractéristiques de
leur mère (mais pas toutes, il existe toujours un peu de différences
génétiques). Il est plus aisé de « faire entrer les caractères »
par les mâles. En fécondation dirigée (stations de fécondation), on
utilise les mâles issus de plusieurs reines sœurs, dont la grand-mère
disposée des caractères recherchés par le sélectionneur.
Ainsi, lorsque l’on repère une bonne
reine sur son rucher, il est utile d’élever un grand nombre de filles à
partir d’elle, puis de conduire ces filles en ruches à mâles. Peu importe si
elles sont fécondées naturellement.
Il est
possible de faire de même avec des reines cousines, bien que cela dilue un
peu les caractères recherchés.
A propos des stations de fécondation
Les reines
vierges émettent des phéromones, attirant les mâles présents dans
l’environnement. Pour éviter ceci, un certain isolement est nécessaire pour
« diriger » les fécondations (îles, montagnes). L’idéal est de se
placer sur une île. Si elle est distante de 2 km du contient, c’est déjà
bien. Il est possible de tester l’étanchéité d’une station (en y plaçant des
reines vierges dans des nucléis dépourvus de mâles et en contrôlant si elles
se font féconder).
|
En
savoir plus :
- La sélection des abeilles mellifères–concepts et mise en œuvre sur l’exploitation –Matthieu GUICHARD (Agroscope) - 5e intervention du Séminaire_ADA_Occitanie_2017-Résumé_des_interventions
- ITSAP :
- http://blog-itsap.fr/comparaison-deux-types-schemas-selection/
- http://itsap.asso.fr/pages_thematiques/quelles-ressources-alimentaires-pour-les-abeilles/diversite-pratiques-de-selection-apicoles-france/
- Cahier technique «Sélection et élevage» - Publication ITSAP, 2012, 16 pages
- La page "Génétique" du site de l'ITSAP
- Méthode d'élevage des faux-bourdons / Conduite des ruches à mâles (par William SEYFARTH)
-
L’importance des mâles en
apiculture : www.agrireseau.qc.ca/apiculture/documents/Fert_Gilles_2.pdf
- Aristabeeresearch :
- Article de 2015 sur Aristabeeresearch (Flash Abeille).: Un pas en avant dans l'élevage d'abeilles résistantes au Varroas
-
Les bases de la génétique
chez les insectes : apiculture-populaire.com/genetique-abeille.html
- Pedigreeapis : www.pedigreeapis.org. La banque de
données sur les croisements d’éleveurs/sélectionneurs de reines. Ce site
propose de nombreux article très spécialisés
dont ceux du frère ADAM. Exemple :
http://www.pedigreeapis.org/biblio/bibliof.html#pubfra
- Dossier « Abeille noire Apis mellifica mellifica linnaeus »
écrit par F Ruttner, E Milner, J Dews (Traduction JM Van Dyck) : www.cari.be/medias/autres_publications/abeille_noire.pdf
-
Une sélection d’articles sur la sélection en
apiculture : http://www.cari.be/t/elevage-et-selection/medias/
-
Article sur les races
d’abeilles : https://sites.google.com/site/abeillealternative/les-races-d-abeilles